Cours-je


Toujours dans ces réflexions en cours et à poursuivre -

j'ai préféré aimer fidèlement les hommes infidèles pour la simple raison qu'il m'était plus facile, moins courageux de souffrir que de faire souffrir. Plus facile, moins courageux de résister à ma jalousie, plus complaisant d'imaginer que je ne vaux pas un amour entier - même temporaire, que d'essuyer la colère et la démesure d'un homme, que d'éprouver la peur face à la responsabilité de mes propres actes.
Tout ce temps qu'il m'a fallu pour saisir que le courage s'arme de crainte, que le courage s'arme d'impatience aussi, que le courage est le fruit de sentiments ambigus, ambivalents, contradictoires parfois - leur dénouement.

J'écoutais un soir Annie Ernaux à la radio déclarer qu'il y avait quelque chose de sain dans la colère, c'est la manifestation, l'action même de la résistance, de notre résistance à ce qui arrive.

Et maintenant que j'éprouve de la colère, que je la laisse avoir cours, non le libre cours encore, je comprends cela parfaitement. Je comprends toute la violence soudaine qui se libère de ma poitrine, dans mes mots et mes regards, dans mes attentes bafouées, dans mes intentions et mes désirs, sur les hommes.

Ma passion qui demande à voir, à savoir, qui exigence la transparence et accepte la souffrance qu'elle anime. Mes mains aux spots de lumière aveuglante.

- mes hommes ferment leurs yeux, par volonté, par manipulation, par peur, par inachèvement, par complaisance, par ignorance parfois.


Après quoi je cours, bon sang !



Photo : Edward Burtynsky, Densified oil filters n°1.

insensées sur la route




La première lecture de "Oedipe sur la route" de Henry Bauchau avait eu lieu pendant l'adolescence, une lecture en diagonale, en désordre, en profondeur, j'étais éblouie par Oedipe, effrayée par son chemin et sa détermination, sa folie dyonisiaque. Aujourd'hui je le relis, horizontalement, de la première à la dernière page, et aujourd'hui je suis Antigone, la frêle Antigone, et c'est elle qui m'éblouit.


Comme elle je me sens élancée dans la vie, j'avance - inflexible, et tous ces moments de doute et de déchirements, ce sont les hommes que j'accompagne, aux hommes que je me cogne, par leur violence je révèle la mienne, dans leurs faiblesses je découvre les miennes plus profondes encore, devant leur admiration je mets en oeuvre mon énergie, toutes mes blessures, larges entailles, sont de l'action de leur corps et de ma volonté, je les suis dans leur folie, les assiste, leur obéis et je m'oppose à eux. Je les contiens et les affine, je les vaincs parfois, je les rappelle à la vie, ils me protègent de tout et de tous, mais jamais d'eux-mêmes. Avec eux je fais mes armes, contre eux, avec eux, pour moi, dans l'avancée forcenée. Vers le présent je les mène, vers l'avant ils me portent.


Avec eux je crée. Pour eux je crée. En eux aussi. Ils me déploient

- je canalise les flots impétueux de leur brutalité contenue. Roseau, je plie, je me relève.


Quand Oedipe se délivre de la culpabilité, Antigone l'accompagne. Il la délivre du passé.


Antigone...ma soeur, si tu savais dans mon amour pour eux, ce que je crains, ce que j'exulte - nous avançons.


Petites et grandes - à la fois. Fragiles, lionnes. Gazelles, furies. Colère, tendresse. Refus, acquiescement. Eclairées, apeurées.


Comme toi j'ouvre les yeux, tout grand la conscience - j'ai choisi.


photo - Francesca Woodman